Aux Brotteaux les trains ne s’arrêtent plus : le commissaire-priseur a remplacé le chef de gare !
Archive publiée originellement le 3 mars 1989
sur Beaujolais Magazine
La salle des pas perdus merveilleusement restaurée
Depuis que le T.G.V. a rapproché Lyon de Paris, il a éloigné les voyageurs de la gare des Brotteaux.
Le dernier train s’est en effet arrêté le 13 juin 1983 et depuis, la salle des pas perdus avait perdu son âme. Qu’allait-il advenir de cette gare monumentale construite au début du siècle ?
Allait-elle succomber sous les bulldozers des démolisseurs ? Déjà la S.N.C.F. l’avait amputée de sa verrière, qui se remplissait de fumée au bon vieux temps des locomotives à vapeur. Le bâtiment a été vendu aux Grands Travaux de Marseille, qui l’ont cédé à leur tour au groupement immobilier SOGELYM.
L’architecte lyonnais Yves Heskia a alors proposé un plan de reconversion, approuvé par la municipalité. Parallèlement est intervenu le classement par les Monuments Historiques de la façade, de la toiture centrale et de la salle des pas perdus avec ses fresques, coupant court aux velléités de démolition.
Il s’agissait à présent de trouver une nouvelle destination à ces lieux chargés d’histoire. Et c’est là que se produisit le « coup de cœur » de Me Jean-Claude Anaf, un jeune commissaire- priseur grenoblois qui a fait de Lyon sa ville d’adoption. Transformer le hall de gare en salle des ventes de prestige ? Pourquoi pas, après tout. L’originalité de la formule l’a immédiatement séduit. Et il a signé l’acte de vente en juillet 1987.
Une dimension europeenne
A combien s’est chiffrée la transaction ? Top secret. Mais il a dû lui falloir aligner les millions de francs lourds. Et la restauration du site a probablement coûté davantage. Qu’à cela ne tienne : l’étude de Me Anaf est l’une des plus florissantes de France. Feu vert a donc été donné à l’architecte Jack Azario. Ce dernier a dû concilier, d’une part les exigences des Monuments Historiques avec, d’autre part, la nécessité de créer un espace répondant à la nouvelle vocation des lieux.
Presque la quadrature du cercle. Le pari a été tenu dans les délais, puisque l’ inauguration s’est déroulée comme prévu le 16 février, en présence d’un représentant du ministère de la Culture et des personnalités lyonnaises. Et la vente inaugurale de livres anciens et modernes s’est ouverte le 28 février, au milieu d’un public de connaisseurs.
Qu’ont découvert tous les visiteurs ? Un hôtel des ventes de dimension européenne, 820 m2 modulables sous 18 mètres de plafond, un hauteur atténuée par un vélum favorisant une certaine intimité, tout en laissant admirer les remarquables fresques du plafond, la peinture aux tons « début de siècle », les fenêtres en bois aux formes gentiment désuètes. Voilà pour le côté rétro.
L’ hôtel des ventes quant à lui offre plus de 800 places dont 506 places assises. Deux podiums ont été prévus, l’un pour les ventes de prestige, l’autre pour les ventes ordinaires. Des tentures aux tons chauds drapent un système de fixation révolutionnaire, permettant d’accrocher instantanément les toiles exposées à la vente. Un écran géant présente les objets en projection de diapositives, tandis que le niveau des enchères s’affiche en francs français ainsi qu’en plusieurs monnaies étrangères : dollar, yen, livre, franc suisse, etc
Les ventes inaugurales
Me Anaf organisera des ventes de prestige deux fois par an, en mars et en octobre : « Les rendez-vous des Brotteaux ». Les ventes inaugurales se déroulent en ce moment, en nocturne à 20 h jusqu’au 15 mars. Livres (1er mars), meubles et objets anciens des 17, 18 et 19e siècles (6 mars), tableaux anciens et du 19e de l’Ecole lyonnaise (7 mars), tableaux impressionnistes et modernes (notamment Buffet, Braque, Chagall, Dali, Degas, Matisse, Picasso, Renoir, Utrillo, Vlaminck, etc.) et des bronzes (8 mars), des tableaux et sculptures contemporaines (9 mars), bijoux et orfèvrerie ancienne et moderne (10 mars), décorations et médailles (14 mars), 200 verreries de René Lalique, art nouveau et art déco (15 mars).
Par ailleurs, Me Anaf effectuera des ventes sur catalogue, à l’instar de celles qu’il organisait au Sofitel et au Palais des Congrès. «Le marché de l’art est en pleine expansion, nous a-t-il confié, précisant que le volume ne pouvait que s’accroître dans le cadre du Marché unique européen. Mais, s'empresse-t-il d’ajouter, je ne dédaigne pas ce qui fait l’ordinaire des commissaires-priseurs : les ventes de cuisinières et de réfrigérateurs. Il faut garder les pieds sur terre. Je suis avant tout à la disposition de la clientèle ». Pour illustrer son propos, il a indiqué que l’hôtel des ventes serait même ouvert entre midi et 14 heures et que les expertises auraient lieu chaque lundi gratuitement.
L’effet anaf
« L’effet Anaf » commence d’ailleurs à se faire sentir dans le quartier, où les magasins disponibles deviennent la proie des antiquaires. Il leur apparaît en effet judicieux de se rapprocher d’une telle « locomotive ».« L’espace Brotteaux » sera complété rapidement sur l’aile droite de l’ancienne gare par le restaurant « Le Gourmandin », avec une terrasse exceptionnelle de 400 m2 sous la verrière, des salles au décor rappelant les trains de la belle Epoque, des salons particuliers au rez-de-chaussée et une grande salle au premier. Sur l’aile gauche prendront place des bureaux d’assurances, des cabinets juridiques, d’architectes, de médecins, des agences de publicités, dont l’agence Havas. Enfin pour servir l’ensemble, un vaste parking souterrain.
C’est ainsi que près de 81 ans après son inauguration, le 29 mars 1908, la vieille bâtisse aux pierres flamboyantes a pris un nouveau départ. A l’invitation au voyage a succédé l’invitation au rêve. La salle des pas perdus a troqué l’isolement pour la convivialité. Et la gare des Brotteaux, qui héberge désormais les œuvres de Dali, risque de faire mourir de jalousie la gare de Perpignan…
Source article écrit par Richard-Alain Bertrand pour le Beaujolais Magazine n°18 Mars 1989