La pérennité des études judiciaires passe par leur mise en réseau
Archive publiée originellement le 17 octobre 2010
sur Les Petites Affiches Lyonnaises
Le commissaire-priseur des Brotteaux veut tordre le cou à la rumeur. A ceux qui anticipent sa retraite, Jean-Claude Anaf affiche ses ambitions pour l'avenir.
Il travaille à la constitution d'un réseau d'études judiciaires en Rhône-Alpes pour, aujourd'hui, réunir des compétences et couvrir le territoire régional ; demain, affronter la concurrence européenne. Retour sur une carrière de 35 ans, marquée par le succès de l'Hôtel des Brotteaux et l'évolution d'un marché qui canalise l'art vers les capitales européennes et laisse la province monter en puissance sur le segment ventes industrielles.
Le 12 septembre dernier a marqué les 35 ans de votre arrivée à Lyon. Avez-vous des regrets ?
Bien sûr que non. Je ne regrette rien depuis que j’ai fait mes débuts lyonnais au sein de l’étude de Françoise Herment-Mochon. Aujourd’hui encore, je fais ce métier public avec la même passion, avec le même intérêt pour des gens issus de toutes les couches sociales confrontés à toutes les situations de la vie. J’ai un caractère plutôt introverti. En privé, j’aime la discrétion. En société, je n’hésite pas à mettre en avant mon ego pour défendre mes projets. Il faut être passionné pour forcer sa nature. Ces 35 ans, ce sont d’abord 35 ans de bonheur.
Que retiendrez-vous de ce parcours ?
L’achat de l’Hôtel des Brotteaux, à l’aube de mes 40 ans, constitue le moment le plus important de ma carrière. Pourtant, j’ai dû affronter le scepticisme de certains milieux. Mais, au final, les mêmes ont salué mon courage et reconnu que j’avais évité la destruction de cette gare emblématique. C’est peut-être à ce moment-là que les Lyonnais m’ont réellement accepté.
Dans ce cas, pourquoi avoir cédé les Brotteaux?
Un chef d’entreprise doit partir au zénith. Surtout ne pas donner l’impression de s’accrocher. Avec cette vente, j’anticipais les conséquences de la réforme de la profession de commissaire-priseur et l’évolution du marché au profit des capitales européennes. Dans un environnement favorable à la spécialisation, avec une taile intermédiaire, je ne pouvais plus mener ce front les activités artistique, judiciaire et industrielle. Et puis, je reconnais un peu de lassitude après tant d’années sacrifiées au travail.
Comment expliquez-vous cette évolution du marché?
La médiatisation des objets d’art conduit un marché de dIjs en plus pointu à se concentrer sur Paris, principalement autour de quatre grandes maisons : Sotheby’s, Christie’s, Artcurial et Drouot Lyon a perdu sa place dans le top ten français des ventes volontaires. Les Parisiens s’installent à Lyon pour remonter les affaires dans la capitale. Pour moi, le basculement a eu lieu le jour où l’un de mes amis m’ayant demandé d’estimer un tableau a préféré négocier la vente à New York. Ce jour-là, j’ai pris une claque. Mais en province, si les études s'essoufflent sur ce segment, elles se renforcent dans le secteur industriel.
A quoi répond cette spécialisation ?
Je fais partie d’une génération de commissaires-priseurs généralistes. Aujourd’hui, nos clients veulent l’avis de vrais professionnels. Les nouvelles générations devront choisir entre les ventes artistiques et industrielles, entre les ventes volontaires et judiciaires. Les jeunes devront avoir de nouvelles compétences comme, par exemple, la capacité à évaluer les biens immatériels d’une entreprise. Dans ce contexte, j’appelle de mes voeux un regroupement régional des études judiciaires. En Rhône-Alpes, nous pourrions créer un réseau regroupant quatre à sept études, courant l’ensemble des compétences et du teritoire, fondues dans un seul groupe. J’espère que les pouvoirs publics faciliteront l’érrergence d'un tel réseau car, demain, nous devrons affronter la concurrence européenne Et je souhaite cette concurrence car, au cous des vingt dernières années, c'est grâce à l'Europe que la profession a fait sa révolution culturelle. Seul un réseau permettra d’assure la pérennité de nos études.
Le rachat de l'étude Blache à Grenoble s’inscrit-il dans cette stratégie ?
C'est dans cette perspective que, au début de l’année dernière, que j’ai procédé à cette acquisition. Car un tel réseau ne peut se constituer dans une même ville Et c’est pour la même raison que, dans queques semaines, le groupe Bernard va prendre le contrôle de la totalité du capital d’Anaf Auto Auction. Au début de l’année prochaine Jean Martinon et moi-même, ainsi que les quatorze collaborateurs des deux études, reentrerons notre activité sur les ventes judiciaires.
En quoi consiste précisément cette activité ?
Pour l'essentiel, soit 85 % de l'activité, nous intervenons lors de procédures collectives (sauvegarde, redressement, liquidation) pour évaluer les actifs et le patrimoine de l’entreprise. Le reste concerne le secteur privé et les inventaires en matière successorale. Ce métier suppose une fibre sociale, une grande capacité d’écoute pour comprendre et accompagner le dirigeant en difficulté. Il y a une grande part d’humanité que l’on ne retrouve pas dans les segments de l’art et des ventes de voitures.
Le marché de l'art ne vous manque pas?
Non. Pendant plus de vingt ans, les Lyonnais m’ont identifié à travers la Gare des Brotteaux. Or, l’artistique n’a jamais pesé plus de 30 % du chiffre d’affaires. Les ventes industrielles assuraient plus de 60 % de l’activité de l’étude, le reste revenant au judiciaire. Comme dans la mode, la haute couture génère l’image, le prêt-à-porter assure la rentabilité. Pour autant, je continue à m'intéresser à la cote du marché, prioritairement dans les arts primitifs et le contemporain.
La retraite n’est donc pas pour demain ?
La constitution d’un réseau d'études judiciaires est la négation même de la retraite. Je veux mener ce projet à terme. Une fois réalisé, je partirai... peut-être.
Propos recueillis par Antonio Mafra, le 17 octobre 2010 sur le magazine Les Petites Affiches Lyonnaises