Jean-Claude Anaf à coeur ouvert

Jean-Claude Anaf à coeur ouvert

En 2010, le célèbre commissaire priseur, Jean-Claude Anaf est dans sa 35e année d'activité... ou 39e, selon le scénario retenu. Car « de son temps », il fallait en effet avoir 25 ans pour s'installer.

Notre homme a donc effectué quatre ans de stage à Grenoble chez maître Blache dont il a récemment racheté l'étude. Il a laissé le domaine artistique il y a peu. Et il cédera Anaf Auto en 2011 pour se concentrer sur le judiciaire. Pour lui, l'heure est à la spécialisation. Rencontre.

Revenons quatre décennies en arrière. Comment êtes- vous tombé dans la marmite ?

J'étais étudiant à la fac de droit à Grenoble. L'une de mes amies, aujourd'hui brillante avocate, m'a dit qu'elle me voyait bien devenir commissaire priseur. Je dois avouer qu'à l'époque, je ne savais même pas ce que c'était. J'ai finalement demandé à mes parents de me faire rentrer en stage dans un cabinet. Avec maître Blache, j'ai eu une formation purement judiciaire. Je me suis ensuite spécialisé « sur le tas ». Pour devenir un bon commissaire priseur, il faut l'oeil, l'intuition, la mémoire. J'avais ces trois éléments. Puis viennent une sorte d'autorité et une sorte d'aura qui naissent petit à petit, tout au long de la carrière.

Quel est votre premier souvenir professionnel ?

Mon premier jour ce stage, chez maître Blache à Grenoble. Il m'a tendu un balai en me disant qu'un bon commissaire-priseur avait un local toujours propre. J'avais 21 ans et je n'avais pas le choix... Je l'ai fait maladroitement mais... avec succès. Depuis, c'est ce que j'ai fait faire à tous mes stagiaires..

Et votre premier souvenir de commissaire priseur « installé » ?

Comme tous les commissaires priseurs, c'est ma première vente. Elle a eu lieu dans l'hôtel des ventes de la rue Confort, en l'occurrence, il s'agissait d'un lot de bibelots acheté par... mon père.

Quel est votre meilleur souvenir ?

L'achat de la gare des Brotteaux en 1987. Lyon n'est pas une ville facile. Mais à partir de ce moment précis, j'ai été considéré comme un vrai Lyonnais et comme un vrai commissaire priseur lyonnais. On a salué mon courage d'investissement et le sauvetage de la gare, désaffectée depuis 1981 et l'arrivée eu TGV.

Vous êtes alors devenu un people ?

Non, pas vraiment. Peut-être davantage maintenant. Mais je fais passer ma carrière professionnelle avant tout.

On vous dit un brin mégalo. Vous assumez?

Je ne connais pas un commissaire priseur qui ne le soit pas. Mais je ne le suis pas pour moi. Je le suis pour ma société, pour que l'on parle de la sociéié Anaf. Personnellement, je suis, au contraire, plutôt introverti.

Après 35 ou 39 ans de carrière, à quoi pense-t-on ? A sa retraite ?

Vous m'agacez avec la retraite. C'est la négation de l'être humain ! Je peux comprendre que certains aspirent à la retraite mais pour quelqu'un comme moi, qui a investi 99 % de sa vie dans le travail, c'est la mort de l'âme ! Je n'ai pas d'autre hobby que le travail !

Vous avez cependant vendu l'hôtel des Brotteaux...

Parce qu'à certains moments, il faut faire des choix. On n'a plus la jeunesse, l'élan, les relations... Il faut savoir se retirer d'une partie de ses activités par la grande porte. Je l'ai fait pour les Brotteaux. Je le ferai l'année prochaine avec Anaf Auto, le temps d'assurer la pérennité de ce que j'ai créé.

Il ne vous restera alors que l'activité judiciaire...

Effectivement. Et je compte bien rester à ma place encore une dizaine d'années. J'ai 63 ans, j'ai racheté récemment l'étude de maître Blache à Grenoble, ce n'est pas pour partir de suite.

Je n’exclus pas de créer une Fondation dans le domaine de l’éducation des enfants

Racheter l'étude Blache, c'était pour boucler la boucle ?

Oui. Mais c'était également parce que l'activité lyonnaise n'était pas suffisante.

N'allez-vous pas vous ennuyer avec les seules affaires judiciaires ?

Non. Depuis que j'ai laissé l'activité artistique et que j'ai repris l'étude Blache, j'entrevois une évolution nécessaire au métier. Aujourd'hui, je pense qu'il est inéluctable que le commissaire priseur se spécialise. C'est une question de crédibilité. Les avocats sont spécialisés. Les notaires se spécialisent. Pourquoi pas les commissaires priseurs ?

Difficile pour un jeune de se spécialiser...

Cela se fera en fonction de la législation. Une réforme est dans les cartons depuis longtemps. Aujourd'hui, tout est très technique. En judiciaire, les tribunaux de commerce sont très pointus et performants. Les juges connaissent étonnamment le tissu économique. Ils sont très exigeants et c'est bien normal. Il y a tellement d'enjeux dans les procédures collectives. La nouvelle génération aura un choix à faire.

Professionnellement, quel sera votre prochain challenge ?

Idéalement, il faudrait former une sorte de GIE dans lequel 4, 5 voire 6 études judiciaires constitueraient un pôle d'activité, regroupant toutes les compétences nécessaires sur la région. Cela existe déjà chez les mandataires et les administrateurs par exemple.

Les commissaires priseurs ne sont-il pas par nature trop indépendants pour cela ?

Pour le coup, il faudra faire fi du côté « mégalo ». Ce côté indépendant, c'est le drame de notre métier. Un jour, cela nous coûtera cher. Il faut prendre conscience qu'il devient nécessaire de rentrer dans un moule dans lequel seront fondues les connaissances et l'activité économique afin de créer une vraie force de frappe.

L'heure de la retraite sonnera bien un jour, malgré tout. Votre associé, Jean Martinon, et vous-même, partirez-vous en même temps ?

Nous ne finirons pas gâteux avec un marteau, c'est certain. Nous partirons sans doute en même temps, lorsque la relève sera assurée : venue d'un jeune, création d'un groupement...

Des projets à titre personnel?

Je n'exclus pas de créer, à moyen terme, une Fondation dans le domaine de l'éducation des enfants. Et puis l'amitié est très importante pour moi ! Je n'ai pas 50 amis. Mes amis proches sont ceux avec lesquels passe un fluide, avec lesquels la confiance règne. Je compte vieillir avec eux...

Propos recueillis par Alban Razia, le 22 octobre 2010 sur le magazine Le Tout Lyon en Rhône-Alpes

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