Anaf, la vie à un train d’enchères
Archive publiée originellement le 24 février 2007
sur Rhône-Alpes Magazine
La gare est un lieu de passage par excellence. Celle des Brotteaux, construite par la compagnie Paris-Lyon-Méditerranée, inaugurée le 29 mars 1908 et fermée en 1983, ne déroge pas à la règle : pour sa seconde vie, transformée en salle des ventes sous la conduite experte de Jean-Claude Anaf, elle voit défiler acheteurs et objets, dont le va-et-vient a remplacé celui des voyageurs.
Texte: Robert Luc/ Photos: Jean-Luc Petit
En rachetant la gare désaffectée des Brotteaux, le commissaire-priseur Jean-Claude Anaf a non seulement comblé les amoureux du patrimoine lyonnais, mais il a aussi hissé la ville à la deuxième place du marché des ventes aux enchères.
Il y a des destins étranges. L’architecte Paul d’Arbaut eut sans doute été bien surpris si, lors de l’inauguration la gare des Brotteaux, un invité aux festivités lui avait susurré à l’oreille que son chef-d’œuvre allait, 90 ans plus tard, retentir non plus du souffle bruyant des machines à vapeur, mais du claquement sec d’un marteau de commissaire-priseur. A la place d’un chef de gare à casquette officielle donnant l’ordre de départ pour les rivages méditerranéens, un homme élégamment vêtu dominant avec autorité une salle frissonnante, écoutant les enchères grimper avec aisance.
L’amoureux du patrimoine lyonnais doit le reconnaître : si Jean-Claude Anaf n’avait pas acheté le bâtiment central de la gare en 1987, fermée depuis 1983, que seraient devenus les stucs de la salle des pas perdus, la marquise en verre, et les fresques murales dont l’une représente le port de Marseille ? Nul ne le sait et le souvenir des panaches de fumée blanche, des valises en carton et de la voix nasillarde d’un anonyme speaker annonçant sur la voie 3 le train en provenance de Genève, serait estompé.
Alors qu’aujourd’hui, malgré tout, il n’y a qu’à lever les yeux en sortant du métro. Elle est encore là, notre gare ! Mais mon rendez-vous n’est pas pour évoquer les escarbilles dans les yeux des voyageurs descendant de wagons de troisième classe. Non. Ce qui m’intéresse est de rencontrer celui qui a fait de Lyon la deuxième place du marché des ventes aux enchères.
Une fois, deux fois, trois fois, adjugé et et vendu... Le protocole de la vente à l'encan n'a pas bougé d'un iota depuis l'Antiquité. Ambitieux et pugnace, Jean-Claude Anaf a réussi à s'imposer comme une référence dans le milieur des enchères, avec comme credo : "Assurer un service de proximité, le personnaliser, c'est ce que j'ai toujours voulu faire."
Il faut être performant
Une personnalité à n’en pas douter. On dit de ce fils de commerçant grenoblois qu’il serait « un arriviste, un jeune loup prêt à tout... » Il a déjà répondu en soulignant que ces attaques provenaient du fait qu’il n’était pas Lyonnais. Il est vrai que, parfois les gones ont une prédisposition à réclamer un arbre généalogique profondément enraciné sur les terres d’entre Rhône et Saône. Il est vrai également que la réussite, partout dans le monde, suscite bien des critiques. Et notre commissaire-priseur ne s’est pas contenté d’adjuger négligemment, d’expertiser du bout de l’oeil. Pas question de rester un petit commissaire-priseur de province passant ses dimanches à se promener aux champs avec un sous-préfet. Il le dit: « Il faut toujours être performant, être un professionnel. Le développement de Lyon dans le domaine des ventes aux enchères, c’est une vision que j ’avais depuis très longtemps. »
Force est de le croire. Il émane chez cet homme calme, raffiné, avare de ses gestes, une détermination évidente. «Assurer un service de proximité, le personnaliser, c’est ce que j’ai toujours voulu faire. » Explication sans doute du développement des ventes de matériel industriel, 60 % du chiffre d’affaires, à côté de ventes prestigieuses et médiatisées plus connues du grand public. Du moins en partie, car ce service de proximité s’applique aussi au domaine des objets rares qui fait la noblesse de ce métier.
Drames et joies de la vie
A propos de métier, risquons une question sur ce qui fait sa spécificité. Certes il faut être pro, on l’aura compris, mais encore ? Jean-Claude Anaf s’anime. La passion n’est pas loin, et sous ses aspects de chef d’entreprise, fonction qu’il aime revendiquer, il y a l’homme qui s’enthousiasme pour la dimension humaine de son travail. «J’ai une passion à l ’égard du milieu humain, les rapports y sont riches. Vous savez, dans cette profession, on est appelé à côtoyer toutes les couches de la société. » Il a raison. Je songe à de prestigieuses ventes, comme celle du Clown de Bernard Buffet ou celle du manuscrit autographe daté du 20 mars 1794 de Louis-François de Précy. Mais je songe également à ces objets saisis, et les malheurs qu’ils sous- entendent.
Dans les ventes aux enchères, la vie est présente, avec ses drames et ses joies. Depuis mon arrivée en gare... pardon, à l’Hôtel des ventes de Lyon-Brotteaux, j ’ai en tête une scène de film où le héros, lors d’une vente aux enchères, avait eu le malheur de se gratter l’oreille, et de se retrouver de facto propriétaire d’un objet bien éloigné de ses moyens financiers... Jean-Claude Anaf confirme combien il est attentif aux gestes de ses clients potentiels. «Il me faut gérer la salle, il y a des attitudes, des gestes justement. » Démonstration immédiate et concluante. «Il faut surtout qu'il y ait une osmose parfaite entre la clientèle et moi. »
Une position d’intermédiaire
Ce n’est décidément pas une profession comme les autres. Cet homme qui côtoie quotidiennement des objets dont certains sont d’une valeur exceptionnelle, (non pas inestimable puisque le mot priser qui a donné priseur signifie estimer), quel rapport a-t’il avec eux ? Alors que nous nous frayons un chemin à travers une multitude d’objets, je lui pose ma question :
« Je suis dans une position d’intermédiaire. Je dois conseiller le vendeur, comme l ’acheteur. J’ai donc un certain recul par rapport à l’objet. Je ne peux être juge et partie. »
Vraiment pas comme les autres, cette profession. Avant de se quitter, il m’en fournit encore une preuve. «Dès que le marteau s’abaisse, que c ’est adjugé, le transfert de propriété est immédiat ! Et ce, dans le monde entier. » Un, deux, trois, adjugé, vendu ! Un simple coup de marteau ! Et dire que c’est ainsi depuis les Romains. Si, si, Jean-Claude Anaf me l’a confirmé : des tablettes de ventes aux enchères ont été retrouvées à Pompéi !
Article écrit par Robert Luc / Photos: Jean-Luc Petit le 24 février 2007 sur Rhône-Alpes Magazine